Un rêve de Phébus

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Forum

Le temps du récit

Jacques Layani

Passé composé… Attention, vous allez tomber dans les pièges classiques des auxiliaires. Au bout d’un moment, on ne verra plus dans vos pages que "être" et "avoir", jusqu’à en être saturé. Je dis ça sérieusement et amicalement. Prenez garde à l’emploi du passé composé sur toute la distance d’un roman.

De même, le passé simple peut conduire à une explosion de "âmes" et de "âtes" parce que, même en rédigeant à la première personne, on ne peut pas dire "je" tout le temps. Donc, vous passerez forcément au pluriel et vous risquez la noyade du lecteur dans les "âmes" et les "âtes".

Au vrai, je ne crois qu’au présent, justement. Ce présent qu’il est convenu d’appeler "de narration" et que rien ne vous empêche d’éclairer de loin en loin par l’emploi d’un autre temps. Relisez Vailland, qui a réinventé la concordance des temps et dont la prose, ainsi, tient merveilleusement le coup à des décennies de distance.

Bien entendu, cela n’engage que moi.

chrysante

je ne l’aurais certainement pas aussi bien expliqué que Jacques Layani, mais je n’en pense pas moins - surtout du passé simple !

Quand aurons-nous le droit de lire le premier chapitre ?

Mathieu

Je crois qu’il faut, au début d’une scène, utiliser un temps passé afin de situer cette scène dans le temps (le passé simple et le passé composé, dans un style soutenu, ne sont, en aucun cas, interchangeables. Grévisse démontre cela bien mieux que je ne pourrais le faire).
Puis, très vite, il faut passer au présent de narration.

Phébus

Merci à tous les trois pour ces précieux conseils. Le passé composé ne me plaît pas pour les raisons évoquées par Jacques. Il n’est pas très beau à lire.
Je vais essayer une version au présent et une autre au passé simple, je verrai bien le résultat.
Philippe, votre avis m’intéresse.

Jacques Layani

J’ai suscité cette discussion en précisant bien que ça n’engageait que moi. Je ne veux surtout pas donner de leçons. Mais je crois vraiment que le présent est supérieur, narrativement parlant. D’ailleurs, il autorise l’emploi d’un temps passé, ici et là. Regardez, prenons un exemple. J’écris n’importe quoi, ce qui me passe par la tête, et ça donne :

Il mange. Sans se poser de questions, il dévore, engloutit, méthodiquement, et cette nourriture qui fait en lui son chemin est une bienveillante coulée de lave qui réchauffe son silence passé. Il a mangé. Maintenant, il va et l’élan de son coeur est une sève nouvelle, comme celle qui lui était printemps, autrefois.

(Beurk, que c’est nul !) On trouve ici huit présents, un passé composé et un imparfait. Leur rapprochement n’est pas gênant.

(En revanche, il y a trois pronoms relatifs, quelle horreur ! Mais ce n’était qu’un exemple.)

Orteil

Pour entrer dans le débat, je confesse une prédilection pour le "tout à l’imparfait" (avec quelques pointes parsemées de passé simple, mais vraiment le couteau sous la gorge), que je ne saurais pas vraiment justifier, si ce n’est que la narration me semble plus naturelle, ainsi éloignée, systématisée, ralentie.
Maintenant, je me garderais bien de suggérer à l’aveuglette à quiconque un même choix.

Mathieu

Pour illustrer mon propos précédent, voici un petit exemple :

"L’individu qui se présenta un matin à ma porte, je l’attendais depuis longtemps. Nous étions amenés à nous rencontrer un jour ou l’autre : j’ai toujours rêvé d’être écrivain mais ne sais pas écrire ; il est l’un des nègres les plus réputés du Val d’Oise. Je passai l’été à lui raconter ma vie tandis qu’il prenait force notes.

Au début de l’automne, alors que nous étions plongés dans la lecture de son premier jet, deux individus font irruption dans mon jardin. L’un est armé d’un fusil à canon scié."

Vous voyez ainsi (outre que la littérature n’est pas toujours une activité de tout repos) comment on peut débuter avec des temps du passé, puis enchaîner avec le présent de narration.

Dans le premier paragraphe, majoritairement au passé, est d’ailleurs utilisé un présent qui n’est pas de narration, mais qui sert à définir un état passé et toujours d’actualité.

Enfin vous remarquerez que je me suis attaché à utiliser à bon escient plusieurs temps du passé (imparfait, passé simple, passé composé, plus-que-parfait). Il y en a d’autres bien sûr, mais si je les avais convoqués tous dans un texte si court, cela aurait paru artificiel.

Phébus

Mathieu, les présents du second paragraphe m’ennuient un peu.

Mathieu

Pour les rendre plus naturels, vous pouvez utiliser le présent dès le premier verbe du second paragraphe : "Alors que nous sommes plongés..."

Notez bien la différence entre les deux paragraphes. Dans le premier, on couvre une période de temps assez étendue. Dans le second, on décrit des événements en temps réel. Cela justifie largement le passage du passé au présent.

Jules G

Est-ce à moi que vous vous adressiez, cher Phébus ? Dans l’affirmative je vous donne mon opinion : relisez les premières phrases des romans de Stendhal, de Flaubert ou de Maupassant. L’imparfait domine, mais ce n’est pas une règle. Si vous prenez des auteurs d’avant le XIXe siècle, ce sera plutôt le passé simple. Pour les plus audacieux et si l’on remonte le temps, il s’agira du présent au mode indicatif. Il n’y a pas de règle en vérité, faites comme vous le voulez, écrivez même à l’indicatif futur ou au plus-que-parfait, personne ne vous en tiendra rigueur, sauf peut-être le taré fixé sur Martin-Chauffier.

Amitiés,
Philippe

Mathieu

Voyons, un "Jules G" qui se prénomme Philippe, traînant sur les forums, l’injure sous les doigts… non, ce n’est pas possible… ce ne serait quand même pas… LUI !

Patrice rf.oodanaw@etsirtsap-ecirtap

Au futur intérieur, au plus qu’imparfait, au présent du subjectif… mais c’est qu’ils vous oulipieraient !

Allez, on se te me garde le bon vieux tandem passé simple/imparfait (pas n’importe comment s’il vous plaît), pourvu qu’on n’abuse pas des mauvais JE de maux…

Patrice hypercorrectif

Chloé

Moi je suis une adepte du tout au présent. Quand on n’a pas une connaissance approfondie des règles de la conjugaison, c’est très pratique.

Les conseils de Jacques Layani sont très pertinents, on sent que c’est un professionnel de la plume. Mathieu, comme à l’accoutumé, est très spirituel. Je ne dirai rien de Jules G, qui serait plus à sa place sur les forums où les gens s’insultent, genre Debordel.

Phébus

Vous connaissez le Debordel, Chloé ?

chloé

Oui, j’ai traîné sur énormément de sites plus ou moins littéraires, mais je ne reste que sur ceux où l’on ne s’invective pas.

Raphaël rf.oodanaw@flahflah

Et pourquoi pas tout un roman au participe passé ?

(Evidemment, faut tenir la route, mais si tu y parviens, t’es bon pour l’Oulipo...)

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